Le Prix d’Amérique Legend Race, disputé ce dimanche à Paris-Vincennes, sera le théâtre d’un duel palpitant entre Face Time Bourbon, champion du monde en titre, et son dauphin Davidson du Pont, en quête de revanche. Ce n’est pas la première fois, dans la course au trot la plus convoitée à l’échelle planétaire, que deux antagonistes sortent du lot, loin s’en faut. Et les connaisseurs de la chose hippique savent qu’il est hasardeux de résumer une course à un match entre deux trotteurs… Mais force est d’admettre que certains combats ont marqué leur époque, avant d’entrer dans la postérité. Nous avons sélectionné, depuis le début des années 1980, quatre rivalités au sommet dans le Prix d’Amérique Legend Race. Deuxième volet dédié à la confrontation entre Coktail Jet et Abo Volo, au milieu des années 1990.
28 janvier 1996. 75ème Prix d’Amérique Legend Race de l’histoire. Les trois précédentes éditions sont tombées dans l’escarcelle de trotteurs étrangers : Queen L (1993), Sea Cove (1994) et Ina Scot (1995). Troisième un an plus tôt, Abo Volo, avec lequel Albert Viel espère enfin décrocher le Graal, est installé favori à 15/10 ! Depuis le début du Printemps 1995, le fils de Lurabo est associé à Jos Verbeck avec lequel il a remporté une multitude de Groupes et glané des accessits de luxe comme une troisième place dans l’Elitloppet et une premier accessit dans le Prix René Ballière, battu…par Coktail Jet justement.
L’élève de Jean-Etienne Dubois, deuxième favori à 41/10, a joué de malchance dans sa jeunesse (gourme, rupture d’un ligament à un genou), soufflant le chaud et le froid, avant de rattraper le temps perdu en 1995, s’adjugeant notamment trois courses labellisées Groupe I : le Prix René Ballière, le Critérium des 5 Ans et le Prix de l’Étoile. Mais à l’inverse d’Abo Volo, qui vient de faire l’étalage de sa forme en se classant troisième de la Qualif#6 Prix de Belgique, avec 25 mètres de handicap, Coktail Jet s’est fait beaucoup plus discret, terminant non placé.
Pour les observateurs, Abo Volo réunit plus d’atouts que Coktail Jet qui, pour l’emporter, doit impérativement préserver sa pointe de vitesse finale, des plus acérées. Or Jean-Etienne Dubois, son entraîneur-driver, va prendre ses adversaires de court. Alors qu’il est à portée de fusil des chevaux de tête devant les tribunes, dans le sillage d’Abo Volo, le fils cadet de Jean-Pierre Dubois opte soudainement pour la course en tête. Aux commandes de l’épreuve en plaine, « Coktail » contrôle les opérations, flanqué de Cèdre du Vivier à son extérieur, lui-même pisté par Abo Volo.
A l’intersection des pistes, les places restent inchangées. Abo Volo ronge son frein, prêt à bondir, bientôt recouvert par Activity et Arnaqueur à son extérieur. Le piège vient de se refermer sur le favori, d’autant que Cèdre du Vivier plafonne. Entrée de ligne droite : Jean-Etienne Dubois sait que son coup de poker est sur le point de se transformer en coup de maître. Il agite les bras pour encourager le fer de lance de l’Ecurie Daniel Wildenstein. Mais le « Diable belge » ne s’avoue pas vaincu. Abo Volo plonge en dedans et se lance à la poursuite de Coktail Jet. En vain. Le trotteur bai à la peau de mouton noire sur le nez vient d’entrer dans la légende. Extatique, Jean-Etienne Dubois exulte au passage du disque, avant de flatter son champion.
Vainqueur dans la foulée du Prix de France Speed Race, avant de triompher dans le Prix de l’Atlantique, Coktail Jet croise à nouveau la route d’Abo Volo en mai dans le Prix des Ducs de Normandie. Abo Volo prend sa revanche sur son adversaire qui se prépare pour l’Elitloppet. Le 26 mai 1996, Coktail Jet signe le rare doublé Prix d’Amérique-Elitloppet la même année, à l’issue d’une ligne droite restée dans les mémoires et fait retentir la Marseillaise dans les travées de Solvalla, 13 ans après Ianthin.
A son retour en France, Coktail Jet retrouve Abo Volo qu’il bat dans le Prix d’Europe à Enghien. Mais à la suite d’un périple cauchemardesque aux Etats-Unis, le champion du monde vacille et perd de sa superbe. Dans le Prix d’Amérique Legend Race 1997, Abo Volo prend la course à son compte, écœure son grand rival et s’en va offrir à Albert Viel, mourrant, le titre tant convoité. Coktail Jet tire un trait sur la compétition deux semaines plus tard, à l’issue d’un Prix de France Speed Race où il n’a pu se mettre en évidence, pour débuter une nouvelle carrière, celle d’étalon, des plus prolifiques.